Login

Francis Amand : « Les lois Egalim ne traduisent pas une vraie ambition agricole »

« Peut-on faire « une marche avant » dans la construction du prix si on accepte que les contrats s’établissent en fonction du revenu des transformateurs et si le coût réel des intrants n’est pas pris en compte ? » s’interroge Francis Amand, ancien médiateur des relations commerciales agricoles.

Premier médiateur des relations commerciales agricoles, présent à l’origine des réflexions sur la première loi Egalim, Francis Amand est à la retraite aujourd’hui. Il a toutefois conservé une activité de conseil en négociation commerciale et n’hésite pas à donner son regard sur ces lois Egalim qui s’accumulent depuis plusieurs années.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Quelle est votre analyse sur les lois Egalim aujourd’hui ?

Francis Amand : La loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite « Egalim 1 », était prometteuse en ce qu’elle visait à accroître la valeur produite dans les filières agro-alimentaires pour en faciliter une meilleure répartition entre tous les acteurs. C’était d’ailleurs l’objectif partagé par tous à l’issue des états généraux de l’alimentation. Mais ces promesses n’ont pas été tenues en raison de la réticence des consommateurs à financer la montée en qualité des produits et la reprise, par les acteurs, de leurs comportements antérieurs de recherche de prix bas. Egalim 2 (2021) tire les conséquences de cet échec relatif en généralisant à l’ensemble des filières l’obligation de conclure des contrats d’approvisionnement qui ne valait jusqu’alors que pour la filière laitière.

Je ne constate pas de réel rééquilibragedu partage de la valeur
en raison de la haussedes coûts subis par les éleveurs.

S’inspirer de la filière laitière était compréhensible, mais force est de constater que son fonctionnement n’est pas reproductible partout, ne serait-ce que parce que les concertations entre les acteurs y étaient anciennes et approfondies au point qu’elles pouvaient s’apparenter à une entente généralisée. J’y avais d’ailleurs mis fin quand j’officiais à la direction de la concurrence (DGCCRF) sans toutefois pouvoir revenir sur le cadre contractuel qui préexistait dans cette filière. De plus, chacune est différente. La filière céréalière, celle des fruits et légumes ou de la viande bovine ont chacune des problématiques spécifiques qu’un contrat ne peut facilement traduire. Aussi, les taux de contractualisation n’y sont pas très élevés aujourd’hui. Enfin, l’obligation de contracter ne garantit pas l’équilibre du contrat, compte tenu du rapport de force entre les cocontractants, et ce, d’autant plus que la loi ne précise pas vraiment comment les indicateurs de coûts doivent être pris en compte. Finalement, c’est encore dans la seule filière laitière que les conditions de rémunération des éleveurs se sont véritablement améliorées, avec une augmentation significative du prix d’achat du lait. Pour autant, je ne constate pas de réel rééquilibrage du partage de la valeur en raison de la hausse des coûts subis par les éleveurs.

Justement, quels sont les points faibles des contrats ?

F. A. : À mon sens, il n’est pas cohérent que les contrats de fourniture de produits agricoles se réfèrent à la fois aux coûts de production pour l’éleveur et à des indicateurs du revenu des transformateurs clients, comme c’est notamment le cas pour les contrats laitiers. Cela est contradictoire avec le principe de « marche avant » défendu par les pouvoirs publics. Il n’est pas possible de faire dépendre la rémunération des éleveurs des performances des transformateurs sur les marchés, aussi bien français, européens que mondiaux. La répétition de telles clauses de revenu dans les contrats d’achat pourrait encore être assimilée à une forme d’entente. De même, il faudrait mieux prendre en compte les coûts des intrants pour les éleveurs, voire la totalité des coûts de production. L’Ipampa retrace une évolution moyenne, mais ne rend pas compte de la situation réelle d’éleveurs pris en étau entre les fournisseurs d’intrants et les transformateurs. L’interprofession devrait se ressaisir de cette question, par exemple, en réexaminant l’intégration des acteurs situés à l’amont des agriculteurs.

En même temps, un service de médiation a été créé pour essayer de compenser certains manques ?

F. A. : Faire reposer tout l’équilibre des filières sur le seul médiateur des relations commerciales n’est pas réaliste. Il faudrait développer des systèmes de médiation ailleurs, comme dans les interprofessions, surtout si elles sont suffisamment longues. Aider les parties à se mettre d’accord est un métier difficile et nécessite beaucoup de patience. C’est probablement plus réalisable quand les parties ont déjà des habitudes de travail en commun, forgées dans le cadre des interprofessions, alors que la position d’autorité qu’elles prêtent parfois au médiateur public (ou que celui-ci revêt) peut compromettre le processus. La loi Egalim 2 a, du reste, beaucoup affaibli la médiation en mettant le médiateur sous le regard du Comité de règlement des différends commerciaux agricoles (CRDCA) dans le but d’accélérer la conclusion des accords. Le CRDCA n’a rien produit de plus, si bien qu’on a sacrifié la médiation pour rien au moment où les pouvoirs publics en faisaient la promotion dans tous les autres secteurs de la société. La loi aurait mieux fait de donner plus de moyens au médiateur, par exemple celui du « name and shame » [NDLR : démarche de dénonciation publique] si un acteur refuse la médiation sans bonne raison. À côté de cela, réinstaurer un commissaire du gouvernement dans l’interprofession est aussi une idée intéressante si cela lui permet de mieux soutenir la politique publique. Et cela, même si l’État ne la finance pas directement. Tout cela nécessiterait de revoir le Code rural, mais au fond pourquoi pas ? Sans parler de certains « interdits » de fonctionnement de l’interprofession qui relèvent d’une interprétation restrictive du Code rural.

Avec ce regard, que pensez-vous des discussions autour d’un Egalim 4 ?

F. A. : L’idée que les problèmes de l’amont seront résolus parce que les relations entre industriels et distributeurs seront apaisées est fausse. La loi Egalim 3 et la possible loi Egalim 4 portent uniquement sur l’aval alors que le problème du revenu agricole mérite d’être adressé directement. Les problèmes de l’aval sont à des kilomètres des préoccupations relatives à la juste valorisation du travail agricole. Lever ces préoccupations requiert d’affirmer un vrai projet agricole qui ne se limite pas à la régulation de la négociation commerciale entre les acteurs de l’aval. Les lois Egalim ne traduisent pas cette ambition et n’ont du reste pas produit de résultat probant à l’aval. Et il ne semble pas qu’Egalim 4 sorte de ce champ limitatif. Des évolutions positives sont heureusement en cours par ailleurs, par exemple, au niveau européen, avec le renforcement du rôle des organisations de producteurs (OP) ou celui des outils mis à disposition de la filière viti-vinicole qui, par certains aspects, ressemble à la filière laitière : filière très exportatrice et à haute valeur ajoutée. Enfin, en tant qu’ancien de la DGCCRF, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la possibilité de s’inspirer du droit de la consommation pour créer un droit asymétrique favorable à l’agriculteur, à l’image des protections de toute nature qui bénéficient au consommateur, notamment en matière contractuelle.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement